Comment la culture peut redynamiser les territoires de montagne
Publié par Université Savoie Mont Blanc, le 12 juillet 2023 600
Cet article a été écrit par
- Véronique Favre-Bonté, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Laboratoire IREGE, IAE Savoie Mont Blanc
- Benoît Régent, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Laboratoire IREGE, Université Savoie Mont Blanc
- Marie Da Fonseca, Maître de Conférences, IAE Perpignan School of Management – Université de Perpignan Via Domitia
Il est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. [Lire l’article original]
La culture occupe une place croissante dans les Plans de Développement Economique et Social de l’Unesco et les innovations de produits et de services sont au cœur des réflexions territoriales et nationales.
Depuis plusieurs décennies, un grand nombre de territoires s’appuie sur le développement de la culture comme un outil de développement territorial. C’est le cas de nombreuses villes comme Liverpool en Angleterre, Bilbao en Espagne ou encore Philadelphie et Baltimore aux États-Unis. Ces villes se sont appuyées sur le développement de la culture pour faire face à la désindustrialisation, à une croissance démographique ralentie ou encore à une image défavorable
La culture apparaît comme levier pertinent de redynamisation et de renforcement de l’attractivité territoriale et touristique. Par exemple, aujourd’hui la région métropolitaine du « Grand Bilbao » abrite la moitié de la population et de l’activité économique du Pays basque, se classant ainsi parmi les régions européennes les plus compétitives, innovantes et productives (PIB par habitant supérieur de 30 % à la moyenne de l’Union européenne).
Ce modèle de développement par la culture pour pallier à un déficit d’attractivité touristique inspire de plus en plus de politiques de développement territorial. En France, dans le massif du Sancy, le développement du festival Horizons Art Nature en est un exemple, tout comme la VIAPAC qui relie les villes de Digne-les-Bains (en France) à Caraglio (en Italie), grâce aux œuvres de douze artistes contemporains. Cependant, le modèle de développement de la culture sur les territoires urbains est difficilement transposable aux territoires ruraux et de montagne dont les spécificités vont imposer des modèles adaptés.
Les données de notre étude ont été recueillies grâce à des observations sur les deux terrains et des discussions avec les habitants et touristes. Des entretiens ont également été menés au cours de l’été 2018 auprès d’acteurs institutionnels et économiques en charge d’un PCT sur un territoire de montagne. Nous avons ensuite suivi les deux PCT (en 2019 et 20) pour nous assurer d’une certaine stabilité dans le temps des observations faites en 2018 (notamment sur la partie « Retombées sur le territoire »).
La spécificité des territoires de montagne
Les territoires de montagne ont une saisonnalité touristique marquée et sont très peu reconnus comme des destinations culturelles. Or pour être attractifs, les territoires doivent développer une offre culturelle qui valorise le paysage et le patrimoine local, ainsi que l’histoire et les spécificités du territoire, tout en intégrant des activités sportives, de nature, etc. D’autant que dans le cas de la montagne, le tissu culturel local est souvent très riche : fêtes de village à caractère thématique, festivals locaux marqués par des savoir-faire ancestraux, écomusée basé sur des ressources naturelles, etc. Il est crucial de s’appuyer sur cette richesse et de favoriser les partenariats avec les associations et entreprises locales afin d’ancrer le projet culturel sur le territoire.
Toutefois, si la culture peut devenir un atout dans le jeu de la mondialisation et permettre au territoire de se différencier durablement, il apparaît essentiel de déterminer d’une part les éléments clés des projets culturels de territoire et d’autre part de construire des outils et méthodes pour accompagner leur gestion.
Valoriser les ressources territoriales
Les spécificités des territoires ruraux de montagne, comme le relief, la pente et le climat difficile deviennent à l’aune du nouveau système des ressources potentielles qui, si elles sont convenablement valorisées, peuvent devenir une source de dynamisme, de richesse et d’inspiration pour la création artistique. À titre d’illustration, pour la VIAPAC, les ressources différenciantes sont les spécificités géologiques du territoire et pour le festival HAN, l’abondance des reliefs volcaniques et les spécificités de la flore et de la faune de ses zones cairns.
Dans le cadre des événements culturels, la valorisation de ces ressources territoriales apparaît comme un élément fédérateur. En effet, les habitants interrogés sont devenus les premiers ambassadeurs du projet car ils voyaient leur territoire mis en lumière. Ils se sont alors rapprochés du projet et leur participation est alors devenue primordiale dans la formation de relais d’informations.
Pour le directeur de l’association Marcovaldo : « l’artiste disait à la population ce qu’il allait faire et ce dont il avait besoin comme informations et comme participation, et la population se mettait en ordre de marche ». Enfin, dans un effet boule de neige, cette valorisation du territoire et cette participation des habitants favorisaient la participation des acteurs privés qui à leur tour souhaitaient investir et développer de nouveaux produits.
Dans les deux cas étudiés, on remarque que combiner le projet culturel au sport, à l’industrie, au patrimoine permet d’une part d’attirer des publics qui ne sont pas nécessairement adeptes des activités culturelles et d’autre part de différencier l’offre tout en motivant les populations locales.
Faire participer les populations locales
La seconde clé repose sur la gestion démocratique du projet. Sur les territoires ruraux comme ailleurs, une gouvernance démocratique des PCT favorise leur réussite.
La gestion démocratique du projet implique d’accorder à l’ensemble des parties prenantes le même pouvoir. Autrement dit, adopter des modalités de gouvernance démocratique implique de favoriser la participation des citoyens auxquels on reconnaît la capacité de faire des choix en matière de politique publique et de mobiliser des outils favorisant la participation au débat et à la décision publique.
Cela suppose de créer des instances et d’instaurer des règles de gouvernance pluralistes et participatives qui associent à la prise de décision l’ensemble des acteurs qui sont ou peuvent être affectés par la réalisation du projet. Toutefois, la gestion démocratique est limitée par la volonté des acteurs à s’engager et à participer au projet, ce qui peut faire défaut dans certains cas.
L’appropriation du projet apparaît comme la seule source de légitimation des PCT ruraux. En effet, là où, sur un territoire urbain, un leadership détenu par des experts de la culture apparaît comme légitime, ce n’est pas le cas sur un territoire de montagne. Ainsi l’accès limité à la culture en zone rurale et quelques fois la non-compréhension de l’art conceptuel peuvent provoquer des réticences et réactions négatives chez les habitants des territoires de montagne. La stratégie d’inclusion des populations est donc primordiale. Par exemple, dans la VIAPAC ou HAN, les producteurs agricoles locaux sont invités à venir vendre leur production et à en faire la promotion lors des évènements organisés dans le cadre du projet.
Croiser les activités et mesurer les retombées
Il s’agit également de croiser les activités culturelles avec les autres activités du territoire (agriculture, sport, industrie, tourisme, etc.). Mêler les différents publics peut non seulement permettre de structurer une offre touristique plus complémentaire, mais aussi créer une dynamique pouvant donner naissance à la création d’activités novatrices.
Enfin, la dernière clé -et pas la moindre –, la valorisation des retombées de l’offre constituée dans le cadre du PCT, apparaît comme un élément primordial pour la pérennisation de l’offre. En effet, le manque d’évaluation des impacts réels du projet pour le territoire contribue à renforcer les interrogations des acteurs du territoire sur la légitimité du projet. L’absence d’outils de mesure des impacts complique le renouvellement des financements et représente donc un frein important à la pérennisation de l’offre constituée dans le cadre d’un PCT.
Ces outils d’évaluation sont habituellement peu présents dans les politiques culturelles et surtout rarement mis en place dès le départ du projet. Pour y faire face, il est recommandé d’établir en amont une liste d’indicateurs pour l’évaluation de l’offre. Cette liste doit être coconstruite avec l’ensemble des parties prenantes du territoire (publique, privée et civile).
Les principaux résultats de nos études montrent l’importance d’une gouvernance démocratique et participative du service public avec une vision innovante de la culture associée à un nouveau modèle économique. L’appropriation et la valorisation du territoire par les artistes permettent de développer une culture différenciante et facilitent son appropriation par les populations locales. De même, le croisement des activités du territoire avec les activités culturelles permet de mobiliser de nouveaux réseaux de publics.
Si le rôle de la culture comme facteur d’innovation et d’attractivité d’un territoire est souvent mis en exergue dans les articles scientifiques et les rapports professionnels, les dynamiques à l’œuvre tout au long du développement des projets de territoire, bien que primordiales ne sont pas suffisamment explicitées. Ce sujet mérite plus que jamais toute l’attention des managers territoriaux s’ils souhaitent réinventer leurs territoires de montagne !
Pour en savoir plus, lisez Favre-Bonté, V., Da Fonseca, M., & Régent, B. (2022). Entrepreneurship and Territorial Cultural Projects: Towards a Development of Territorial Effectuation Concept. Revue de l’Entrepreneuriat. Disponible auprès des auteurs.