Comment le confinement peut durablement transformer nos pratiques alimentaires
Publié par Université Savoie Mont Blanc, le 13 juillet 2023 400
Cet article a été écrit par
- Margot Dyen Chercheuse, Université de Bretagne occidentale
- Guillaume Le Borgne Maître de conférences en sciences de gestion, laboratoire IREGE, Université Savoie Mont Blanc
- Lucie Sirieix Professeur, Montpellier SupAgro
Il est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. [Lire l’article original]
La période de confinement a bouleversé nos habitudes de consommation alimentaire. Parmi les conséquences environnementales, le gaspillage de nourriture dans les foyers n’a fait l’objet d’études que dans quelques pays étrangers, à savoir le Royaume-Uni, la Grèce et la Tunisie).
Notre réflexion s’appuie sur ces études et sur les nombreuses données françaises recueillies autour des comportements alimentaires durant cette période (en particulier de Kantar, IRI, Bonial, et Bulletins de Partage RMT Alimentation locale-RMTAL).
L’adaptation des pratiques
Le gaspillage n’est pas un comportement isolé, mais le résultat des pratiques en amont de la consommation : la planification et les achats, le stockage et la cuisine, le repas et la gestion des restes.
Concernant les achats, plusieurs phases se sont succédé pendant ces deux mois à domicile. Au début du confinement, une partie des consommateurs ont fait des stocks, accumulant d’importants volumes de produits alimentaires par crainte du manque. Par la suite, la préparation des courses et les modes et circuits d’approvisionnement ont évolué, du fait de la fermeture d’une partie des marchés et d’une forte augmentation des commandes par Internet – drive pour la grande distribution et plates-formes web de vente de produits locaux notamment.
Globalement, la fréquence des achats a diminué pour 63 % des foyers. Cette baisse brutale en début de confinement a logiquement été compensée par une hausse du panier moyen – en France, le trafic a chuté de 48 % et le panier moyen a bondi de 89 % sur la 14ème semaine de 2020 par rapport à la même semaine en 2019. Les achats via d’autres circuits ont augmenté, ce qui a conduit finalement à une progression de 16,7 % des dépenses sur les produits grande consommation en mars 2020 par rapport à mars 2019.
La vérification des aliments en stock au foyer et le recours à une liste de courses ont respectivement augmenté chez 47 % et 34 % des foyers. Ces deux pratiques contribuent généralement à limiter le gaspillage. En parallèle, des études mentionnent également un recours plus important aux pleins de biens en grosses quantités, susceptibles d’accroître le gâchis. Du fait d’un recours plus important au « drive », le vrac a par ailleurs chuté durant le confinement, quand bien même il encourage à ajuster les quantités aux besoins.
Inégalités face au gaspillage
La progression du nombre de repas pris à domicile et des volumes d’achat a conduit les ménages à stocker chez soi davantage de produits plus ou moins périssables. Cette tendance se révèle dans l’ensemble moins efficace que celui le long de la chaîne d’approvisionnement, conçue et dédiée pour cela. Les conséquences en matière de gaspillage dépendent alors de nombreux facteurs liés aux caractéristiques des produits stockés, aux compétences et aux pratiques des membres du foyer, ainsi qu’au lieu de vie.
Durant le confinement, une part importante des ménages a davantage mis en place certaines pratiques de gestion des aliments : cuisiner en lots (batch cooking) (+23 %), congeler la nourriture (+28 %), créer des recettes avec les ingrédients disponibles (33 %), et organiser régulièrement le rangement du réfrigérateur et des placards (+36 %).
Cette étude confirme en outre que les ménages ayant recours à ces pratiques gaspillent moins. Les habitudes citées sont influencées par différents facteurs individuels comme la sensibilité au gaspillage alimentaire et les motivations d’ordre environnemental ou d’économie domestique.
Les caractéristiques de l’habitat ont également une influence importante. Absence de réfrigérateur ou de congélateur (ou matériel inefficace), présence d’un seul feu de cuisson, d’une seule casserole : ces situations rendent difficile ou impossible de cuisiner par lots ou de congeler, par exemple. De même, l’étroitesse d’un logement peut compliquer le stockage approprié de denrées alimentaires. Cependant, au-delà des compétences et des intentions, les inégalités de temps disponible, de taille du logement et d’équipement (entre autres) n’ont pas rendu possible pour tous les ménages une adaptation à ce surstockage conjoncturel via une modification des pratiques alimentaires.
Le repas, moment clé de la journée confinée
En augmentant le nombre de repas pris en commun et en modifiant temporairement la composition des foyers, le confinement a aussi modifié les aspects sociaux de ces moments à table. La réorganisation des règles du foyer peut jouer sur les capacités d’anticipation du gaspillage alimentaire (appréciation des quantités, connaissance des goûts et des préférences des membres du foyer).
Le confinement a également fait du repas un point de rencontre essentiel dans les journées des consommateurs, qui rythmait la journée et constituait le seul moment d’échanges avec des personnes « réelles ». L’alimentation revêtait une dimension « plaisir », « découverte », pour en partie décompresser en cette période anxiogène et parfois frustrante.
De « bonnes habitudes » ont quelquefois été mises de côté, notamment celles relatives à l’évitement des déchets et du gaspillage. Dans le même temps, des formes de frugalité ont vu le jour durant le confinement, pour raisons financières ou pour limiter les trajets au magasin. Cela pouvait aller jusqu’à des formes de rationnement rappelant les temps de guerre.
Par ailleurs, une lassitude s’est parfois développée envers l’obligation de cuisiner et de « se faire plaisir pendant le confinement ». Les foyers ont pu passer d’une période plutôt orientée vers le plaisir et la nouveauté au début, avec une moindre attention portée à la gestion du gaspillage, à une phase plus frugale dans un second temps, retombant dans des logiques plus gestionnaires. La préoccupation vis-à-vis du gaspillage a légèrement augmenté), tout comme la reconnaissance de la valeur de l’alimentation et des travailleurs tout au long de la chaîne.
Pérenniser les pratiques durables
Ces premières études post-confinement incitent à réfléchir à la façon de pérenniser – hors du contexte du confinement – les « bonnes » pratiques alimentaires mises en place, et d’empêcher les « mauvaises » de s’ancrer. En complémentarité du rapport du WRAP, nous proposons ici – en tant que chercheurs dans le champ des pratiques durables et du marketing social – des recommandations ciblant spécifiquement le gaspillage de nourriture à l’échelle des ménages.
Cette période de contraintes et d’expérimentation a fait appel à la créativité des consommateurs (pour s’approvisionner, cuisiner, stocker…) et a permis de lever certains freins psychologiques relatifs à des pratiques alimentaires durables. Le confinement a par ailleurs assez duré pour laisser des traces comportementales (réflexes et routines). Les échanges entre proches au sujet de nouvelles pratiques sont l’occasion pour ces dernières de se diffuser, ou plus précisément de « recruter » de nouveaux adeptes.Au terme d’une période inédite, le terrain est prêt pour un marketing social plus efficace : les consommateurs sont à ce jour plus à même d’exprimer leurs besoins, leurs contraintes, et de s’approprier des propositions pour améliorer leur bien-être alimentaire tout en gaspillant moins. Les communications et accompagnements à la transition vers des pratiques plus durables devront néanmoins, comme l’a rappelé la disparité des situations dans ce confinement, s’adapter aux multiples réalités vécues. Enfin, le marketing social doit également permettre de ne pas laisser d’autres comportements peu durables apparus pendant le confinement s’ancrer dans le temps.