Force, vitesse, endurance : qui est le meilleur, l’humain ou l’animal ?

Publié par Université Savoie Mont Blanc, le 12 juillet 2023   570

Cet article a été écrit par

  • Baptiste Morel Maître de conférences, laboratoire LIBM, Université Savoie Mont Blanc
  •   Pierre Samozino Maître de conférences, Biomécanique et Sciences du sport,laboratoire LIBM Université Savoie Mont Blanc

Il est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. [Lire l’article original]

Si vous avez la chance d’être tiré au sort pour acheter des places aux Jeux olympiques 2024, il vous faudra choisir parmi les 400 épreuves qui auront lieu. « Citius, Altius, Fortius » dit la devise olympique, mais on pourrait même rajouter « Diutus » probablement oublié par erreur par le Baron de Coubertin. Alors : plus vite, plus haut, plus fort et plus longtemps ?

Oui, mais pas en même temps… Les épreuves olympiques sont aussi nombreuses que variées quant aux qualités physiques qu’elles requièrent. Alors que les sprinteurs s’affronteront dans un concours de vitesse, le volleyeur voudra sauter toujours plus haut pendant que l’haltérophile devra user de sa force et le marathonien de son endurance. Ces qualités physiques ne sont pas reliées entre elles car elles sont liées à des aspects biomécaniques et physiologiques bien différents. Chaque athlète a son profil force-vitesse-endurance. Même au sein d’une équipe ou d’une discipline, plusieurs profils de joueurs cohabitent, chacun avec ses forces et ses faiblesses.

Cette diversité de qualités physiques chez les humains reste anecdotique quand on regarde le règne animal. De la fourmi à l’éléphant en passant par le crabe et le serpent, tous se déplacent grâce à leurs muscles. En revanche, chacune des espèces du monde animal a développé des adaptations physiques spécifiques particulièrement adaptées à leur environnement.

La force pour s’échapper

Ici la question n’est pas de gagner une médaille, mais de survivre ! Prenons l’exemple des relations proies-prédateurs. A priori, le plus rapide a un avantage. S’il s’agit de la proie, le prédateur ne pourra rien se mettre sous la dent, mais dans la situation opposée on ne donnera guère de chance à la proie de s’en sortir.

Comme nous l’avons vu précédemment, les qualités physiques sont variées et plusieurs stratégies peuvent se mettre en place. Le plus lent pourra peut-être s’en sortir grâce à son endurance alors que le plus rapide pourrait être mis en difficulté par les capacités de force de son adversaire.

La conférence de Pierre Samozino « Les limites de la machine humaine » compare en détail les biomécaniques humaines et animales dans leurs performances physiques.

Commençons par la force. On voit tout de suite l’avantage d’être fort dans un affrontement au corps à corps, tels deux boxeurs sur un ring. Mais chez les animaux, la survie ne se joue pas toujours au bras de fer, c’est plus souvent une question de course-poursuite. Et à ce jeu-là, la force est tout aussi importante, ou plus précisément, la force rapportée au poids de corps. C’est elle qui déterminera l’accélération indispensable à une sauterelle qui, d’un seul bond, se sortira d’une embuscade tendue par une grenouille qui la dévorait des yeux. Grâce à ses tendons qu’elle utilise comme catapulte, la sauterelle présente des pics d’accélération hors du commun, lui permettant de sauter bien plus haut que ses prédateurs.

C’est l’arme secrète de bon nombre de petits animaux. L’allométrie, la science qui étudie l’évolution des traits biologiques au travers des différentes échelles, nous montre que le rapport force/poids est au profit des « tout petits ». C’est également grâce à ces pics d’accélérations que le lézard peut se défaire d’un chat affamé en changeant brutalement de direction et ainsi éviter de perdre à un concours de vitesse en ligne droite ou de lutte acharnée. On retrouve ces grandes capacités d’accélérations vers le haut (sauts), l’avant ou le côté (changement de direction) chez les meilleurs joueurs dans les sports de petits terrains (basketball, handball, tennis) où beaucoup d’actions se jouent sur le tout premier pas.

La vitesse pour la course-poursuite

Dans les plus grands espaces, certains animaux jouent plutôt sur la vitesse pour survivre. C’est comme cela que l’antilope peut échapper au lion qui, lui, tente le tout sur le tout sur les premiers mètres grâce à une meilleure accélération. Mais à ce jeu-là, le guépard est le champion toutes catégories avec des pointes de vitesse à plus de 100 km/h ! Cette suprématie n’est pas liée à des fibres musculaires extraordinaires, mais plutôt à ses muscles fessiers surdéveloppés et positionnés sur le squelette avec des bras de levier permettant de démultiplier la vitesse de contraction de ses muscles.

Et pour ça, la quadrupédie est essentielle. Elle permet d’appliquer la force au sol bien plus efficacement que nous, humains, quand on est droit sur nos deux jambes. C’est d’ailleurs un élément central qui explique que certains athlètes courent le 100m plus vite que d’autres : une orientation horizontale de la force au sol a été montrée comme plus importante que la force totale produite par nos jambes. Les muscles situés à l’arrière de nos jambes (fessiers, ischiojambiers) associés à une gestuelle millimétrée jouent alors un rôle capital pour produire de la force vers l’arrière et nous accélérer vers l’avant, exactement comme lorsque nous faisons de la trottinette. Un atout majeur que présentait Christophe Lemaitre quand il est passé sous la fameuse barre des 10s au 100m en 2010.

Saviez-vous qu’Usain Bolt, lors de son record du monde du 100m en 2009, était à moins de 50 % de sa puissance maximale de propulsion sur les trois-quarts de sa course ? Il ne s’est pas donné à fond ce jour-là ? C’est peu probable… en revanche c’est sa boite de vitesse qui lui a fait défaut.

Imaginez-vous avoir pris l’autoroute pour rouler vite, mais devoir rester en fond de première… Chez l’humain, c’est exactement ce qu’il se passe sur un 100m, la production de puissance est bridée à cause d’un « braquet » non adapté. C’est donc à celui qui aura la 1re la plus proche de la 2ee qui va gagner, et pas nécessairement celui qui aura le plus de chevaux sous le capot. Le guépard a plus de puissance certes, mais surtout des rapports bien plus adaptés au sprint qui lui permettent de maintenir une bonne efficacité de propulsion quand la vitesse augmente.

L’endurance pour épuiser ses proies

La stratégie des félins est donc basée sur la vitesse maximale, mais d’autres animaux utilisent une stratégie à l’exact opposé. Les loups, mais aussi les orques, peuvent traquer leurs proies pendant des heures sur plusieurs dizaines de kilomètres. Leur cible est peut-être plus rapide sur des sprints, mais ces prédateurs vont jouer sur leur endurance élevée pour fatiguer petit à petit leur proie, jusqu’à l’épuisement total pour la capturer ensuite aisément.

La conférence de Baptiste Morel « Fables de la fatigue » revient sur l’influence de la fatigue et des capacités d’endurance dans le monde animal et les performances sportives.

Physiologiquement, ces prédateurs possèdent une vitesse critique (vitesse à partir de laquelle le phénomène de fatigue se déclenche) plus élevée. La vitesse de traque est donc supportable pour eux, mais pas pour leur proie.

Nous, humains, faisons partie de cette deuxième catégorie de prédateur. Depuis l’époque d’Homo erectus une sélection au profit de la résistance à la fatigue s’est produite dans le genre homo au point de devenir des champions de l’endurance. Nous sommes même capables de rivaliser avec des chevaux ! Une course de 35 km au Pays de Galles oppose chaque année au début de l’été des humains et nos fidèles destriers. Pour la troisième fois, un humain (Ricky Lightfoot, ça ne s’invente pas) est arrivé en tête en 2022. De manière moins exotique, cette qualité physique s’exprimera dans toutes les disciplines d’endurance aux prochains JO, et en premier lieu, lors du marathon.

La diversité des capacités physiques du monde animal est extraordinaire. Elles ont été peu à peu sélectionnées par les mécanismes de l’évolution. Dans nos projets de recherche, nous étudions notamment comment ces capacités nous permettent de comprendre le comportement humain et plus largement animal, mais aussi comment les optimiser pour gagner plus de médailles. Pour nous, homo sapiens, ces qualités physiques sélectionnées par l’histoire de notre espèce ne sont plus mises en jeu pour des questions de survie. Néanmoins, elles sont pour notre plus grand bonheur mis en lumière dans les évènements sportifs tout autour de la planète et en premier lors de la grande fête quadriennale que sont les Jeux olympiques.