« Le sommeil, un bienfait en voie de disparition ? » Retour sur Entre midi & science (14/01/2020)
Publié par Claire Tantin, le 31 janvier 2020 1.3k
Vous êtes curieux des sciences ? Désireux de comprendre les sujets de société et leurs enjeux ? Une fois par mois, à la Galerie Eurêka, venez rencontrer des spécialistes, poser vos questions et débattre avec eux autour d’un café lors des rendez-vous « Entre midi & science ».
Si vous n’avez pas assisté au dernier rendez-vous du mardi 14 janvier, « Le sommeil, un bienfait en voie de disparition ?», ce résumé vous en donnera un aperçu !
Pour échanger sur ce thème, le Docteur Stéphane Lado, médecin neurologue au Centre hospitalier Métropole Savoie était l'invité de cette rencontre.
Un court historique pour situer le débat !
Les modifications des rythmes du sommeil chez l’Homme sont apparues dès l’utilisation des premières formes de lumière. La domestication du feu, avec la présence de lumière la nuit, permet de rester éveillé plus longtemps. L’arrivée de l’électricité va révolutionner nos modes de vie. Ces dernières années, la télévision puis les écrans de façon générale, ont bouleversé notre façon de vivre et nos rythmes de sommeil, notamment par leur présence jour et nuit à nos côtés, avec les réseaux sociaux.
Comment fonctionne notre sommeil ?
Le rythme de notre sommeil est réglé par une horloge interne située dans notre cerveau, dans l’hypothalamus au niveau d’une petite structure appelée « noyaux suprachiasmatiques » ou NSC. Cette horloge centrale est synchronisée par la lumière et imprime une rythmicité sur 24h.
Une expérience menée sur des rats, a montré que si l’on détruisait les NSC, les plages de sommeil et d’éveil se succèdent mais elles apparaissent de façon anarchique, sans régularité. Pour un bon fonctionnement, l’horloge doit être synchronisée sur le milieu extérieur. Quand nous prenons l’avion pour un voyage entraînant un décalage horaire, il faut environ une semaine (chacun étant plus ou moins sensible à ce phénomène) pour s’adapter au nouvel horaire !
Le sommeil dépend de deux processus :
- un processus circadien dépendant de l’horloge interne. Ce processus nous met dans des dispositions favorables au sommeil par une baisse de l’hormone de la vigilance, une augmentation de la mélatonine (qui est appelée aussi hormone du sommeil) et une baisse de la température corporelle.
- un processus accumulatif : pendant les temps d’activité cérébrale, l’adénosine libérée s’accumule dans le cerveau. Ce neurotransmetteur a une action inhibitrice sur les neurones de l’éveil. Ainsi, plus le temps d’éveil est long et plus on a besoin de dormir.
De quoi est composé un cycle de sommeil ?
Le sommeil est constitué de plusieurs cycles successifs comportant différents stades : éveil, sommeil paradoxal, sommeil lent léger et sommeil lent profond. Ces stades se succèdent et s’organisent de façon identique chaque nuit. Le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal sont des phases primordiales. On dort par cycles successifs de 90 minutes où se succèdent plusieurs stades. Les cycles évoluent au cours de la nuit. Durant les deux premiers cycles de la nuit, le sommeil lent profond est très présent. En fin de nuit, le cycle de 90 minutes est composé en grande partie de sommeil paradoxal alors qu’il n’y en a que très peu en début de nuit.
Tous les bons dormeurs, malgré une durée du sommeil variable, ont la même quantité de sommeil lent profond et de sommeil paradoxal. C’est la quantité de sommeil lent léger qui fluctue. Dans la réalité, il y a une forte irrégularité des cycles. Un bon dormeur se rendort vite, ne se rendant parfois même pas compte de la phase d’éveil. L’insomniaque met plus de temps à se rendormir mais ne dort en moyenne que 20 minutes de moins que le bon dormeur !
Pour comprendre comment fonctionne le cerveau, on mesure le sommeil en regardant l’activité électrique cérébrale. Chaque stade de sommeil, par l’implication de neurones actifs différents va montrer une activité électrique particulière du cerveau.
Fonctions et rôles des différentes phases de sommeil
Le sommeil peut être comparé au mode « redémarrage » de l’ordinateur. Le sommeil lent profond joue un rôle dans la récupération physique de l’organisme, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal sont impliqués dans le travail de la mémoire. Le sommeil a aussi une fonction de dépuration : en position horizontale, le drainage des produits se fait pendant le sommeil lent profond. Par exemple, dans le cerveau, l’accumulation des protéines amyloïdes responsables de la maladie d’Alzheimer sont éliminées. Le manque de sommeil peut favoriser cette maladie.
Notre horloge biologique se règle grâce aux NSC qui sont sensibles à la lumière du jour. Si on impose de la lumière en soirée, l’horloge va se décaler. Le sommeil sera de bonne qualité mais l’endormissement se fera plus tard et le réveil sera également tardif, on parle alors de retard de phase. Si au contraire on est en présence de lumière tôt le matin, le sommeil sera en avance de phase. Si la lumière est présente le matin et le soir, il y aura une baisse de la quantité de sommeil. L’éclairage artificiel a donc entraîné des modifications de notre sommeil.
Les filtres utilisés sur les écrans pour diminuer la lumière bleue n’ont à ce jour pas prouvé leur efficacité en termes d’amélioration de la qualité de l’endormissement.
Avec l’âge, le sommeil change. Plus l’âge augmente, et plus le sommeil est plus court, plus léger et plus fractionné. Le chronotype correspond au fait d’être du matin : « lève-tôt », ou du soir : « couche-tard ». Il évolue avec l’âge, les enfants étant plutôt couche-tôt, les ados couche-tard et lève-tard, et les personnes âgées, couche-tôt et lève-tôt.
Les risques liés aux perturbations du sommeil
Les Français ont perdu 1h30 de sommeil depuis 50 ans. Un tiers des français dort moins de 6 heures par nuit en moyenne, avec souvent une grosse variation entre les temps de sommeil en semaine et en week-end. Cette différence est appelée « décalage horaire social ». Vouloir « récupérer » le week-end en dormant beaucoup plus, pose des problèmes : il est important de garder un rythme au plus près de son propre rythme biologique. Des horaires décalés durant le week-end imposent un décalage au niveau du cerveau, cela entraîne des répercussions sur la santé. Le problème le plus important n’est pas tant la restriction du temps de sommeil mais l’irrégularité des rythmes. Les conséquences sont nombreuses :
- elles peuvent être directes : Somnolence, troubles de l’attention, désinhibition, accidents, ...
- elles peuvent être au long cours avec une augmentation des risques d’addictions à l' alcool, au tabac, aux drogues ainsi qu’une augmentation des dépressions. Les troubles du sommeil peuvent contribuer à une diminution des performances scolaires et professionnelles voire à une augmentation des divorces. Elles peuvent parfois aussi avoir des impacts sur la santé : perturbation de la prise alimentaire et de la satiété, hypertension artérielle, obésité, diabète, maladies cardiovasculaires et pathologies tumorales.
Petit aperçu des questions du public :
Quel conseil pouvez-vous nous donner concernant la sieste ?
Pour les bons dormeurs, la sieste est une habitude excellente mais n’est pas obligatoire. Elle doit être courte, de l’ordre de 20 minutes, pour éviter d’entrer dans un sommeil profond. Une sieste trop longue perturbe le sommeil de la nuit suivante qui devient plus léger, plus court et plus fractionné. Néanmoins si l’on a peu dormi la nuit précédente, la sieste est recommandée.
Pour les mauvais dormeurs, la sieste est à éviter. Le risque est d’avoir encore plus de difficultés à dormir la nuit suivante.
Quels conseils pouvez-vous donner aux parents d’adolescents face à leur utilisation des écrans ?
Il n’y a pas de réponse miracle ! Plusieurs conseils peuvent être donnés :
1- Leur expliquer les conséquences de regarder les écrans trop et trop tard.
2- Ritualiser et poser des procédures dans la vie familiale avec des repas à heures fixes.
3- Montrer, en tant que parent, le « bon exemple » et ne pas rester sur son téléphone si on l’interdit aux ados.
4- À une certaine heure, on arrête les écrans pour tous.
5- Créer une boite où tous déposent leur téléphone le soir (pas de téléphone dans la chambre).
6- Pas de télévision dans la chambre.
Et pour les adultes ?
L’idéal est de ne plus utiliser d’écrans après 20 h, nous n’avons pas besoin d’un écran « récréatif » ! Il n’y a pas d’horaire défini, cela dépend du sommeil de chacun. Un mauvais dormeur doit être plus rigoureux qu’un bon dormeur. L’idéal est d’éteindre les écrans une heure avant d’aller se coucher. Le mieux pour le sommeil est de ne pas utiliser d’écrans !
Que pensez-vous de l’activité sportive en soirée ?
Faire du sport modifie peu la durée du sommeil mais améliore la qualité du sommeil lent profond. Donc le sport a une influence bénéfique sur le sommeil. Cependant, la température du corps varie avec notre horloge biologique. À 4 h du matin, la température du corps augmente pour préparer l’organisme à la veille. Et en fin d’après-midi, c’est l’inverse, la température de corps diminue pour préparer celui-ci au sommeil. Le sport en soirée empêche ce phénomène naturel : il augmente la température du corps et sécrète certaines hormones qui vont à l’encontre de l’endormissement. Il faut donc éviter le sport après 18 h, le faire plutôt en journée. Toutefois, il vaut mieux faire du sport le soir que de ne pas en faire du tout !
Quels liens y-a-t-il entre alimentation et sommeil ?
S’assoupir après le repas est un phénomène normal. L’état de vigilance est associé au jeûne. Quand on a mangé, ce n’est plus l’heure d’aller chasser, on peut donc se reposer. En période digestive, notre corps entre en somnolence. Mais si le tube digestif est trop stimulé par un bon repas, cela pose des problèmes. Lors des repas du soir, il faut donc privilégier les sucres lents et éviter trop de protéines et d’alcool. Le vin endort car l’alcool détend les muscles mais l’effet est de courte durée et des insomnies peuvent apparaître ensuite. D’autre part, l’alcool, par la détente des muscles, favorise l’apparition de ronflements, d’apnées du sommeil.
Quelles sont les conséquences d’un sommeil fractionné, comme chez les navigateurs par exemple ?
À la préhistoire, dormir en fractionné permettait d’être en éveil et éviter les prédateurs, il y avait donc un intérêt à un tel rythme. Le navigateur se met dans un rythme « ultradien » avec des phases de sommeil courtes et revenant à intervalles réguliers. Il n’existe plus de jours ni de nuits, le rythme devient 2 h 30 de veille et ¾ d’heure de sommeil. Ce rythme n’est pas bon pour notre santé mais si celui-ci est utilisé pendant quelques mois, cela ne pose pas de problèmes. Les navigateurs qui gagnent des compétitions sont ceux qui gèrent le mieux leur rythme veille/sommeil.
Conclusion
Pour un bon sommeil, il faudrait éliminer tous les écrans, manger sainement et garder un rythme équilibré de veille et de sommeil !