"Les rythmes de l’enfant : quel est le bon tempo ?" : retour sur le rdv "Entre midi & science" (03/12/2019)

Publié par Audrey Popineau, le 13 décembre 2019   9.2k

Vous êtes curieux des sciences ? Désireux de comprendre les sujets de société et leurs enjeux ? Une fois par mois, à la Galerie Eurêka, venez rencontrer des spécialistes, poser vos questions et débattre avec eux autour d’un café lors des rendez-vous « Entre midi & science».

Si vous n’avez pas assisté au rendez-vous du mardi 5 novembre, « Les rythmes de l’enfant : quel est le bon tempo ? », ce résumé vous en donnera un aperçu.

Pour échanger sur ce thème, le Docteur Véronique Garino-Legrand, médecin conseiller technique à la Direction des Services Départementaux de l’Education Nationale (DSDEN) Savoie, et Tina Rochette, psychologue-neuropsychologue au sein du cabinet Crapahute Pédiatrie et à l’Institut Médico-éducatif (IME) Le Château, étaient les invitées de cette rencontre. Avec elles nous avons évoqué les rythmes des enfants et le meilleur équilibre à trouver entre école, activités extra-scolaires, jeux, écrans, etc. afin de respecter leur rythme biologique.

Un enfant est caractérisé par différents rythmes, qui évoluent au cours du temps :

- Le rythme de développement, avec au fil des âges l’émergence et le développement de caractéristiques et aptitudes telles que la motricité, le langage, etc. Ce rythme est programmé génétiquement mais modelé par l’environnement. Il est en particulier en lien avec la sécurité affective et l’attachement.

- Les rythmes biopsychologiques : trois types de rythmes peuvent être distingués : les rythmes circadiens, qui se reproduisent une fois toutes les 24h ; les rythmes ultradiens, qui se reproduisant plusieurs fois sur 24h (à une fréquence qui peut être de l’ordre de la seconde ou de la minute) ; et les rythmes infradiens, qui se reproduisent sur des périodes supérieures à 24h (plusieurs jours, un mois, etc.) Ces rythmes biopsychologiques sont naturels mais impactés par l’environnement. Par exemple à certaines périodes : l’automne et la fin de l’hiver, l’enfant montre une moindre résistance.

A ces rythmes s’ajoutent ceux des activités du quotidien.

  • Au fil des âges…

De 0 à 2 ans, un bébé présente deux rythmes au quotidien : alimentaire et de veille/sommeil. A cet âge, ces deux rythmes présentent un caractère ultradien. Petit à petit se met en place la structure du sommeil. Chaque bébé a un rythme propre et unique.

De 2 à 3 ans, un enfant fait une ou deux siestes dans la journée. Quand celle du matin disparaît, l’état de vigilance est moindre en fin de matinée, avec la présence d’indicateurs de somnolence (bâillement, agacement, etc.).

De 3 à 6 ans (école maternelle), les siestes de l’enfant tendent progressivement à disparaître pour laisser place à une augmentation du sommeil profond nocturne. Toutefois le rythme de chaque enfant est unique. L’accès à la sieste est donc à faciliter, et ce le plus tôt possible après la fin du repas. Dans les préconisations pour l’école, on est passé d’une sieste obligatoire à un mode beaucoup plus personnalisé à chaque enfant. La sieste n’est plus rendue obligatoire mais on tient compte des différences de chacun.

De 6 à 12 ans (école primaire), l’enfant a tendance à être bon dormeur la nuit et vigilant la journée. Il montre un sommeil profond, parfois marqué par des parasomnies (troubles du sommeil caractérisés par des comportements tels que du somnambulisme, des cauchemars ou des terreurs nocturnes, souvent liés à cet âge à cet état très profond du sommeil).

L’adolescence est caractérisée par beaucoup de bouleversements. Il y a notamment une modification de la structure du sommeil nocturne qui devient plus léger et une tendance naturelle à la somnolence diurne. Cette hypersomnie (somnolence diurne excessive) est physiologique à cet âge. Au cours de la nuit, les phases de sommeil paradoxal permettent d’intégrer des acquisitions complexes et nouvelles. Pour apprendre il faut dormir ! Par ailleurs, l’horloge interne de l’adolescent a tendance à se décaler, avec des couchers et levers tardifs. Pour répondre à ces modifications il s’agirait d’adapter les rythmes scolaires en conséquence, par exemple en retardant l’heure de rentrée en classe. En outre, le rythme scolaire ne favorise par les rythmes réguliers qui sont pourtant essentiels. Le constat actuel fait état d’une dette de sommeil chez beaucoup d’adolescents. Ceux-ci ont besoin de récupérer. Faire des activités est important mais attention à ce que leur emploi du temps ne soit pas non plus surchargé d’activités multiples.

  • Quel tempo ?

Une rythmicité journalière intellectuelle est mise en place progressivement en maternelle et au début de l’école primaire, cela consiste au passage d’un rythme ultradien à un rythme circadien.

Les capacités attentionnelles et cognitives varient au cours de la journée et de la semaine. Elles sont maximales en fin de matinée et milieu d’après-midi : ces moments sont donc à privilégier pour les nouveaux apprentissages. En revanche, l’état de vigilance diminue en début d’après-midi, c’est le moment à privilégier pour l’entretien des connaissances. Il y a donc tout intérêt au cours de la journée à alterner les formes de travail. En maternelle et en primaire il est possible d’adapter les activités à ce rythme avec alternance de types d’activités. En revanche cette adaptation est plus complexe à mettre en place en collège et lycée.

Le rythme induit par la semaine de 4 jours est mis en question, il a en effet été démontré scientifiquement que la coupure du mercredi entraîne une moindre attention le jeudi, car l’enfant doit se remettre dans le rythme. La difficulté de se remettre en route avec ce rythme s’accroît encore davantage chez les enfants en difficulté.

Pour le respect des rythmes de l’enfant, il y a à la fois un rôle de l’école mais aussi des parents qui doivent écouter les rythmes de leurs enfants.

Au cours de la semaine, avoir un peu d’activités extra-scolaires est une bonne chose pour maintenir un rythme, cependant il faut veiller à ce qu’il n’y en ait pas trop, au risque de provoquer une surcharge d’activités chez l’enfant. Ne pas solliciter sans cesse un enfant par des propositions d’activités est important. Le laisser « s’ennuyer » par moment est bénéfique car c’est le laisser imaginer, jouer seul, libre de faire des propositions plutôt que d’y être sollicité.

Il s’agit de veiller aussi au temps d’écran. Plus les enfants passent de temps devant les écrans et plus leur attention est difficile. En particulier, l’utilisation d’écrans avant le coucher a un effet délétère sur le sommeil car elle peut entraîner des difficultés d’endormissement. La seule activité à privilégier avant de dormir reste le temps de lecture.

  • Respecter le rythme des enfants passe par :

- Ne pas surcharger l’enfant par des activités, celles qui lui sont destinées, mais aussi celles des parents qui entraînent leur enfant dans tout ce qu’ils font.

- Maintenir une régularité des repas, celle-ci est primordiale.

- Prévoir des moments de jeux, ce qui est primordial également car ce sont des moments d’échange, et car les jeux stimulent et aident à construire les fonctions exécutives de l’enfant. Ces fonctions exécutives (dont le lobe frontal est le siège) peuvent être considérées comme les chefs d’orchestre des apprentissages.

- Ménager des moments de promenades, ce qui est également facteur de stimulations diverses pour l’enfant : stimulation de l’odorat, de la vision périphérique, de la posture moteur, etc.

- Favoriser les échanges. C’est important qu’il y ait du temps pris en famille, des moments réellement partagé, durant lesquels il y a du partage, d’émotions par exemple. Cela peut passer par lire un livre ensemble, regarder un dessin animé ensemble, etc. Une attention partagée apporte à l’enfant un sentiment de sécurité.

- S’il est bien de stimuler l’enfant, il s’agit en revanche de veiller à ne pas le sur-stimuler, ni à se sur-stimuler en tant que parent car le rythme de l’enfant est influencé par celui de ses parents.

- Respecter des heures de coucher régulières.

- Se faire confiance.

A la maison, tous ces donneurs de temps vont permettre aux enfants d’acquérir un rythme veille/sommeil, une bonne qualité de sommeil et donc des performances cognitives optimales

A l’école maternelle, il y a une adaptation du déroulement de la journée au rythme de l’enfant. A partir de la classe de grande section, il y a un passage progressif vers le rythme de l’école élémentaire.

  • L’importance de la communication

Une bonne communication avec l’enfant est importante et implique notamment de : tenir la règle, croire en ce qu’on souhaite véhiculer, et sans forcément devoir tout expliquer. La communication contribue à la création d’un attachement sécure avec son enfant, ce qui impacte directement ses rythmes biologiques. Les règles de l’école ne sont pas forcément celles de la maison : il s’agit dans ce cas de l’expliquer à l’enfant tout en faisant confiance à l’école.

  • En conclusion…

A trop vouloir être partout et à ne plus trouver de temps pour soi tout est reçu comme une agression. Respecter le rythme de l’enfant passe donc par respecter le sien en tant qu’adulte.

  

  • Sélection de questions :

- Quel est le nombre d’heures de sommeil préconisé pour un enfant de primaire ? On parle de 10h, est-ce cela ?

De manière générale, le nombre d’heures de sommeil préconisé par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) est effectivement de 10h en primaire. Néanmoins le temps de sommeil recommandé est une moyenne, et, chaque enfant étant unique, il s’agit qu’il soit adapté à ses besoins. Il est essentiel de bien respecter chaque jour le quota d’heures de sommeil nécessaire à l’enfant pour respecter son rythme. Un manque de sommeil a des conséquences sur l’apprentissage, la concentration, l’immunité, etc.

- Le mercredi matin, faut-il réveiller l’enfant comme les jours d’école s’il a encore besoin de dormir ?

Respecter le rythme d’un enfant ne signifie pas pour autant le réveiller. S’il en a besoin, il peut dormir 1 ou 2h de plus. Le plus important est de respecter l’heure du coucher du mardi soir. L’horaire de coucher doit être régulier et non pas être décalé sous prétexte qu’il n’y a pas école le lendemain.

- Quel rapport au temps l’enfant a-t-il ? Des expressions comme « à ce soir » ou « on verra demain » ont-elles du sens pour le jeune enfant ?

Des notions comme « à ce soir » sont importantes dans la mesure où elles contribuent à la sensation de sécurité de l’enfant. En revanche des notions comme « on verra demain » n’ont pas de sens pour lui. En effet, pour un jeune enfant seul l’instant présent a un impact. Rien ne sert par exemple de lui faire la leçon sur une situation qui s’est produite plusieurs heures auparavant, ni de lui parler de quelque chose qui se produira plusieurs jours après : cela n’a pas de sens pour lui.

- Réflexion : comment réorganiser les rythmes de la société pour être plus proche de ceux de l’enfant ?

Des travaux portent sur les rythmes scolaires afin de les adapter au mieux. Les vacances scolaires (hors été) ont par exemple dorénavant toutes une durée de 15 jours (ce n’était pas le cas auparavant pour les vacances de Toussaint) car les études ont montré qu’une durée moindre ne permettrait pas à l’enfant de bien récupérer. La durée des vacances d’été, parfois estimée trop longue, a elle aussi déjà été mise en question. Ce sujet reste néanmoins complexe car il implique d’autres domaines et enjeux (touristique, etc.).

- La semaine d’école à 4,5 jours avec travail le mercredi présente-t-elle plutôt des avantages ou des désavantages ?

La semaine de 4 jours et demi présente l’avantage de maintenir une stabilité et un rythme favorables aux apprentissages. S’il y a un revers, c’est plutôt au niveau de l’endurance, ce rythme engendrant un peu plus de fatigue en fin de semaine.

- Serait-il envisageable de revenir à la semaine de 4,5 jours avec école le samedi matin ?

Il serait très difficile de revenir à ce mode, surtout en raison du rythme des familles dont il faut tenir compte et en particulier des familles recomposées qui sont en augmentation. Pour nombre d’entre elles, le changement de garde des enfants se fait au moment du week-end.

- Faut-il réveiller des élèves de moyenne section qui dorment encore à la fin du temps de sieste ?

Non il n’est pas recommandé de les réveiller car s’ils dorment c’est qu’ils en ont besoin.

- Peut-on laisser faire la sieste à des élèves de grande section ?

Oui s’ils en ont besoin. Mais il s’agit surtout de se poser la question de pourquoi ils ont besoin de tant de sommeil. Est-ce juste parce qu’ils sont de gros dormeurs ou bien parce qu’ils sont en dette de sommeil ?

Les recommandations départementales vont dans le sens de privilégier un temps calme ou de repos aux enfants de grande section. Celui-ci peut éventuellement prendre la forme d’une sieste si besoin. Néanmoins il s’agit de ne pas coucher l’enfant trop tard dans l’après-midi pour ne pas le décaler.

- Avons-nous eu raison d’intégrer les écrans dans les écoles ?

Il faut vivre aussi avec notre société donc il ne s’agit pas d’occulter complètement les écrans, il est important que les enfants sachent s’en servir, cependant il s’agit de trouver le bon équilibre.

Tout dépend aussi de l’âge de l’enfant. En maternelle, il n’y a aucune utilité à utiliser des tablettes (sauf éventuellement pour certains enfants présentant un handicap et pour lesquels l’écran peut être un outil intéressant). En primaire, les tablettes peuvent être utilisées (notamment là aussi chez des enfants en situation de handicap), mais toujours avec une visée pédagogique. Dans tous les cas, il est important de ne pas laisser l’enfant seul face à son écran.


  • Mots de conclusion résumant les échanges :

Tina Rochette : « partager pour respecter ses rythmes et grandir ensemble »

Dr Véronique Garino-Legrand : « faire confiance et communiquer »


  • Proposition de référence bibliographique pour approfondir le sujet :

Livre Le cerveau de votre enfant. Manuel d'éducation positive pour les parents d'aujourd'hui. Dr Daniel J. Siegel, Tina Payne Bryson. 2018. Editions Marabout