"Réchauffement climatique : quels impacts sur les milieux polaires ?" Retour sur le rdv "Entre midi & science" (05/11/2019)
Publié par Audrey Popineau, le 20 novembre 2019 5.6k
Vous êtes curieux des sciences ? Désireux de comprendre les sujets de société et leurs enjeux ? Une fois par mois, à la Galerie Eurêka, venez rencontrer des spécialistes, poser vos questions et débattre avec eux autour d’un café lors des rendez-vous « Entre midi & science».
Si vous n’avez pas assisté au rendez-vous du mardi 5 novembre, « Réchauffement climatique : quels impacts sur les milieux polaires ? », ce résumé vous en donnera un aperçu.
En présence de Glenn Yannic, biologiste, maître de conférences au Laboratoire d'ÉCologie Alpine (LECA) de l’Université Savoie Mont Blanc, et membre du Groupe de Recherche en Ecologie Alpine (GREA), nous avons évoqué les conséquences du réchauffement climatique au niveau des régions polaires, notamment en Arctique, et tout particulièrement les impacts sur la faune.
Une augmentation des températures accentuée dans les régions polaires
Les températures dans l’Arctique ont augmenté de 3°C en moyenne depuis 1880. C’est beaucoup plus important que le réchauffement moyen à la surface de la Terre (environ 1°C). Tous les phénomènes de réchauffement que l’on connaît à nos latitudes sont en effet accentués au niveau des régions polaires. A noter qu’au niveau des écosystèmes alpins, les phénomènes sont à peu près similaires à ceux observés aux pôles, avec toutefois une ampleur moindre.
Conséquences du réchauffement sur les glaces et autres effets climatiques
La fonte de la banquise, c’est-à-dire la glace de mer, est l’une des conséquences du réchauffement qui est observée en Arctique. Depuis que les premières mesures ont été faites aux pôles, la comparaison par mois de l’étendue des glaces de mer a montré une diminution graduelle de leur étendue. Cette diminution a été particulièrement marquée sur la période 1999-2012, où le rythme de fonte a été de 203 000 km² par an. L’augmentation drastique de ce rythme est due au fait qu’à partir de cette période la fonte a porté à la fois sur l’épaisseur et sur la surface de glace.
Remarque : la fonte de la glace de mer n’a pas d’impact sur le niveau de l’eau (on peut faire l’analogie avec un glaçon flottant dans un verre rempli d’eau à ras bord. La densité de la glace étant inférieure à celle de l’eau liquide, l’eau issue de la fonte du glaçon occupe moins de place, il n’y a donc pas de débordement). En revanche, la situation est différente avec la fonte des glaces continentales en Antarctique : dans ce cas il y a bien pour conséquence une élévation du niveau de la mer.
En revanche, la fonte de la banquise peut causer des modifications au niveau de la circulation des masses d’air et des courants océaniques. Il pourrait notamment y avoir une influence sur le Gulf Stream qui, selon une hypothèse avancée, pourrait s’arrêter.
Certains effets des changements climatiques, tel l’accroissement des précipitations, peuvent impacter la reproduction des animaux, période cruciale en Arctique où l’été est très court. L’Arctique est en effet un désert polaire caractérisé par très peu de précipitations, or celles-ci ont tendance à augmenter.
Conséquences des changements d’aire de distribution des espèces
En Arctique, les écosystèmes sont relativement simples, avec peu d’espèces, or les changements climatiques vont entraîner une augmentation du nombre d’espèces sous l’effet de migrations. Du fait de ce phénomène, certaines d’entre elles entrent en compétition pour les ressources ou pour les sites de reproduction. C’est ainsi que le Renard roux par exemple remonte de plus en plus vers l’Arctique où il entre en concurrence avec le Renard polaire.
Ce phénomène entraîne également davantage de rencontres entre espèces très proches et pouvant s’hybrider. C’est le cas par exemple avec l’Ours polaire et le Grizzly, entre qui l’hybridation est possible. Se pose ainsi la question des conséquences sur la faune que pourrait engendrer l’augmentation de l’hybridation. Ce phénomène risque-t-il par ailleurs d’entraîner des disparitions d’espèces ?
Concernant l’Ours polaire, la disparition de son habitat : la banquise, est aujourd’hui particulièrement préoccupante.
Impacts sur la dynamique des populations et le fonctionnement des écosystèmes
Les changements climatiques ont par ailleurs des impacts sur la dynamique des populations et le fonctionnement des écosystèmes avec des effets en cascade. L’exemple des lemmings illustre bien ces impacts. Sous l’effet du réchauffement climatique, les effectifs de ce petit rongeur vivant dans les régions arctiques diminuent. Les pics périodiques qui caractérisaient habituellement les populations de lemmings ne se produisent plus. La disparition de ces cycles est constatée depuis les années 1998. Or, le lemming constitue la nourriture de nombreux animaux tels que la Chouette harfang, le Renard polaire, la Labbe polaire et l’hermine. La raréfaction de leurs proies a un impact sur ces espèces prédatrices puisque leurs ressources alimentaires diminuent.
Conséquences d’un environnement qui change et nécessaires adaptations
Le réchauffement climatique entraîne certains changements environnementaux auxquels les animaux doivent s’adapter. Ces changements renvoient tout particulièrement aux effets portant sur la glace. La diminution de l’épaisseur de celle-ci notamment la rend plus fragile. Cela impose alors à certains animaux, tels les caribous, de faire le détour d’une zone plutôt que de passer sur une surface glacée. Les animaux qui s’aventurent malgré tout sur la glace peuvent y mourir emprisonnés quand celle-ci, trop fragile, se brise sous leur poids.
La faune est également impactée par les phénomènes climatiques extrêmes qui ont tendance à augmenter. Parmi les animaux touchés par les changements climatiques, a été évoquée la Mouette ivoire, une espèce endémique des régions arctiques. Son succès reproducteur est mis en péril par l’augmentation des précipitations pluvieuses causée par la hausse des températures. En effet, la pluie associée au vent a un impact sur les jeunes Mouettes ivoire qui ont des difficultés à survivre. Cela induit des années sans aucune reproduction.
Réduction d’un habitat où vivent de nombreuses espèces
Des suivis d’animaux (avec bagues ou balises Argos) ont mis en évidence que la limite entre la banquise et l’eau libre est une zone très riche en biodiversité. Une étude menée de 2007 à 2013 sur 104 Mouettes Ivoire équipées de balises Argos, originaires du Canada, du Groenland, de Svalbard-Norvège et de Russie, a ainsi montré que 90% d’entre elles restent dans les 50 km de part et d’autre de cette limite. Si les animaux sont particulièrement présents au niveau de cette frontière entre banquise et eau libre c’est parce qu’il s’agit d’une zone extrêmement productive en phytoplancton et zooplancton. Le déclin de cet habitat du fait de la fonte de la glace, a donc un fort impact sur l’ensemble des êtres vivants de l’écosystème arctique.
Sélection de questions :
- En Antarctique y-a-t-il les mêmes effets du réchauffement climatique ?
L’Antarctique étant un continent, la glace se trouve sur les terres. Quand elle fond, cela entraîne donc de gros apports d’eau douce. Il se forme alors deux couches, avec l’eau douce qui se trouve au-dessus de l’eau salée. L’eau douce gèle davantage, ce qui conduit à une extension de la banquise (au contraire de l’Arctique où la banquise se réduit). Cette augmentation de la surface de la banquise contraint les colonies de Manchots empereurs à parcourir une plus grande distance pour atteindre l’eau libre, avec pour conséquence une plus forte mortalité, notamment chez les jeunes.
- Le réchauffement climatique entraîne-t-il des émissions de gaz ?
Le pergélisol* dégèle de manière prolongée et dégage des gaz à effet de serre. Cet impact est global mais pas local. Cependant les surfaces peuvent glisser, les abords des rivières peuvent s’effondrer. Ce phénomène entraîne par ailleurs la libération possible de macrovirus ancestraux pris dans les glaces, et donc l’arrivée de nouveaux pathogènes, de nouveaux virus.
* partie du sol gelée en permanence, au moins pendant deux ans, et de ce fait imperméable, dans les régions arctiques ou subarctiques
- Quel impact du réchauffement sur le plancton ?
La fonte de la banquise sous l’effet du réchauffement a un impact sur les organismes planctoniques car ceux-ci sont très fortement liés à la glace. La frange banquise-glace de mer est une zone de très forte productivité en plancton (notamment le phytoplancton).
- Qu'en est-il des populations autochtones en Arctique ?
Il n’y a aucun impact des populations autochtones sur le réchauffement climatique. Au niveau environnemental elles ont éventuellement un faible impact sur la faune car elles bénéficient d’un droit ancestral et inaliénable de prélever des organismes (ours polaire, phoque, etc.) mais vu la faible densité de population, cela reste très minime.
Il y a des conséquences environnementales causées par les exploitations minières, mais cela n’est pas le fait des populations autochtones.
Dans l’autre sens, les conséquences du réchauffement climatique sur ces populations portent aujourd’hui surtout sur les traditions et la chasse.
Par ailleurs, les plus forts impacts auxquels sont confrontées les populations actuellement sont d’un autre ordre : ils sont liés à l’arrivée de la société consommation, le tourisme, une alimentation trop sucrée, etc.
- Y-a-t-il un impact des populations sur la Baleine franche du Groenland ?
Suite à la récente amélioration des effectifs de la Baleine franche du Groenland, la Commission Baleinière Internationale a autorisé le Groenland à prélever deux baleines par an dans le strict cadre d'une pêche de subsistance.
- Remarque sur l'hétérogénéité des effets des changements climatiques au niveau de la planète
A l’échelle du globe il y a une forte hétérogénéité spatiale et temporelle. Il peut y avoir un réchauffement moyen globalement mais un refroidissement dans certaines zones. La tendance est là mais il y a de l’hétérogénéité.
Conclusion
Le réchauffement climatique est très hétérogène et l’évolution des organismes liée à ce réchauffement reste difficile à prédire. Néanmoins, les prédictions du GIEC sont très alarmistes. Les bouleversements sont très rapides, et se font à un rythme encore jamais connu à la surface de la Terre. Dans quelle mesure les espèces vont-elles s’adapter ? Des travaux portent sur ces questions mais il y a encore beaucoup d’incertitudes sur l’évolution des écosystèmes.