The Conversation : « Pourquoi, au ski, les femmes se blessent-elles plus au genou que les hommes ? »

Publié par Université Savoie Mont Blanc, le 13 mars 2025

Cet article a été écrit par Frédérique Hintzy, professeure des universités en sciences du sport, et Brice Picot, maître de conférences et kinésithérapeute au Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité (LIBM) de l'Université Savoie Mont Blanc. Il est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. [Lire l'article original]

En ski de descente, près d’un quart des blessures se concentre sur la rupture du ligament croisé antérieur du genou. Fait surprenant : une skieuse « loisir » court un risque trois fois plus élevé de se blesser que ses homologues masculins. Ratio qu’on ne retrouve pas chez les professionnels. Comment l’expliquer et surtout, comment prévenir ces blessures ?


La neige, le soleil, les éclats de rire, la glisse… toutes ces belles images associées aux vacances d’hiver… et soudain la chute, le genou qui se tord entraînant une lésion du ligament croisé antérieur (LCA), la douleur… et les suites : opérations, séances de kiné, arrêt de travail… Les ruptures de ce ligament comptent à elles seules pour 20 % des blessures en ski. Tous les niveaux de pratique sont touchés, du débutant au compétiteur. Mais il faut souligner qu’une skieuse « loisir » a un taux de lésion du LCA trois fois plus élevé que celui de ses homologues masculins.

Le ligament croisé antérieur (LCA) est situé au centre de l’articulation du genou et en assure sa stabilité, aidé par des contractions musculaires. Anatomiquement, le mécanisme qui conduit à sa lésion correspond à un mouvement de « torsion » excessif du tibia sous le fémur, le genou rentrant vers l’intérieur.

Les mécanismes lésionnels et les solutions de prévention diffèrent entre la pratique compétitrice et récréative, concentrons-nous sur la pratique de loisirs, constituant la plus grande partie des vacanciers dans les stations de ski.

Le ski : un cocktail explosif pour nos genoux

Tout d’abord, pourquoi le LCA est-il si souvent touché en ski alpin ? Plusieurs explications viennent malheureusement s’additionner, faisant de ce sport un cocktail explosif pour nos genoux !

Premièrement, le mouvement traumatique du LCA peut se produire dans de nombreuses situations de ski, à vitesse faible comme élevée, lors de chutes ou non. Il peut s’agir d’une contrainte mécanique avec une surcharge du genou lors d’une réception de saut ou sur un appui puissant. Une mise en tension musculaire peut aussi expliquer cette lésion, car trop forte, trop rapide et/ou non optimale.

Une autre particularité de la pratique du ski est la position fléchie du genou entre 30° et 90° lors du virage, or c’est justement l’amplitude articulaire dans laquelle le genou est le moins stable compte tenu d’un système ligamentaire détendu. Le genou peut aussi subir une flexion excessive suite à un déplacement du centre de gravité vers l’arrière et le côté, appelé mécanisme du « pied fantôme ». Des accélérations du tibia différentes de celles du fémur peuvent se produire, entraînant un cisaillement antérieur du tibia, une hyperextension brutale.

Une autre explication vient de l’environnement de pratique, comme la présence d’obstacles fixes (arbres, pylônes) et mobiles (les autres skieurs), des conditions météorologiques particulières (températures basses, visibilité dégradée) et changeantes (variations des qualités de la neige).

Enfin, deux autres explications concernent le matériel. Les chaussures rigides maintenant fermement le pied et la cheville, c’est bien le genou, la première articulation à être sollicitée et à subir les contraintes. Quant aux skis, ils sont aussi les ennemis de nos genoux. La carre d’un ski peut mordre la neige et ainsi partir dans une direction alors que celle de l’autre ski préférerait rester dans une autre direction. Compte tenu de leurs dimensions importantes (longueur, largeur et masses), les skis peuvent aussi agir comme un levier entraînant la jambe en rotation avec un moment de force alors important.

Des stratégies de prévention efficaces pour les femmes

La diversité des mécanismes lésionnels induit une diversité de « stratégies de prévention ». Les recherches en épidémiologie parlent de facteurs prédisposant à la pathologie et les classent en deux catégories.

Malheureusement, la première catégorie est non modifiable car propre au skieur. On y retrouve des facteurs comme le sexe, les antécédents de blessures, l’âge ou certaines particularités anatomiques. Par exemple, l’hyperlaxité (élasticité excessive de certains tissus) ou la forme particulière du tibia ou du fémur jouent un rôle dans la stabilité et les contraintes ligamentaires du genou.

C’est d’ailleurs ce qui explique en partie que les femmes soient plus à risque de rupture du LCA, avec une déviation des genoux vers l’intérieur comme des jambes en X (valgus) plus marquée et une structure ligamentaire moins tolérante aux contraintes que les hommes. S’y ajoute l’influence hormonale, avec un risque qui semble évoluer en fonction des différentes phases du cycle menstruel.

Par contre, connaître cette fragilité permet d’adapter sa pratique ou son entraînement. De nouveau, l’exemple des femmes est intéressant car les skieuses de haut niveau ne présentent plus un risque accru de rupture du LCA par rapport à leurs homologues masculins. L’explication est à chercher dans la catégorie de facteurs modifiables prédisposant à la pathologie. Ils peuvent concerner le skieur lui-même, par exemple les capacités du système neuromusculaire, que ce soit la production de puissance, de résistance à la fatigue ou encore les qualités proprioceptives (la proprioception désigne la perception, par le cerveau, de la position des différentes parties du corps dans l’espace, ndlr).

Il a été montré que les qualités de production de force jouent un rôle important dans la prévention des ruptures du LCA, notamment en cas d’asymétrie importante entre les deux jambes ou de déséquilibre entre les muscles agonistes et antagonistes du genou avec une force du quadriceps supérieure aux ischio-jambiers (ratio I/Q).

D’ailleurs, les skieuses « loisirs » présentent un risque deux fois plus élevé de rupture du LCA sur leur jambe non dominante considérée comme moins forte ainsi qu’un ratio I/Q important. Des programmes de renforcement, de coordination et d’équilibre vont permettre de les améliorer, avec un focus sur le contrôle de la stabilité du genou. Cette solution est largement utilisée par les skieurs compétiteurs dans le cadre de leur entraînement. Et c’est ce qui explique en partie l’égalité de skieuses et des skieurs compétiteurs face aux lésions du LCA, les skieuses ayant corrigé les déséquilibres d’activité musculaire ratio I/Q de chaque cuisse ou entre les deux membres.

Le laboratoire LIBM que je dirige (Université Savoie Mont-Blanc) travaille activement sur la mise en place de tests originaux pour évaluer les qualités des skieurs élites.

Bien se préparer avant de skier est indispensable

Le skieur « loisir », et surtout la skieuse, devrait donc aussi préparer sa semaine de vacances à la neige avec un programme physique adapté les semaines précédentes ou mieux, une pratique sportive régulière mixant du cardio, du renforcement musculaire et de la proprioception.

Et si cela n’est pas fait alors que les vacances commencent, il est temps au moins de s’échauffer avant de s’élancer sur la piste : des mouvements de mobilité de toutes les articulations, des flexions de genoux lentes puis dynamiques, des fentes avant et c’est parti !

Il est également important de prendre en compte les signes de fatigue arrivant au cours de la journée de ski ou de la semaine, pour s’arrêter avant la blessure. Des muscles douloureux, raides et répondant moins bien, une diminution de l’attention, des mouvements moins fluides et des déséquilibres, voilà des signes à prendre en compte.

Un autre facteur modifiable par le skieur est son propre comportement, en choisissant une piste adaptée à son niveau et en réduisant sa vitesse pour rester maître de ses trajectoires.

Ces facteurs intrinsèques nécessitent que le skieur prenne conscience de ses capacités, de l’environnement montagnard et du matériel pour adapter son comportement : enfin un facteur qui place les skieuses en bonne position, car elles présentent significativement des comportements moins à risques que les skieurs !

Quant au matériel, il est aussi au cœur du dispositif des solutions de prévention des lésions du LCA. Il a été montré que les dimensions du ski influencent significativement les blessures, de par le levier important qu’ils induisent. Ainsi, des skis plus courts et moins larges sont moins dangereux pour les genoux.

Des réglages des fixations à adapter

La dernière solution, et non la moindre, concerne la fixation de ski. Sa fonction première est de maintenir le ski à la chaussure pour créer une interface ski-skieur et ainsi permettre la pratique de cette activité sportive. Mais cette fixation doit aussi être capable de se décrocher pour libérer le pied du skieur de son ski lorsque le genou est en danger. Le ski libéré ne constitue ainsi plus un levier important entraînant la jambe puis le genou en rotation ou en translation.

Pour répondre à ces fonctions opposées, les fixations abritent des ressorts mis en compression sous l’action du chaussage. En ce qui concerne le déchaussage, il sera obtenu par un mouvement de la fixation sous l’action d’un moment de force jusqu’à une position donnée.

Ainsi, régler la libération d’une fixation consiste à ajuster la compression du ressort au moment de force souhaité pour le déchaussage. Ce réglage est indiqué par une norme. La sélection d’un réglage se fait en fonction du poids du skieur et de la longueur de sa coque de chaussure de ski. Cette valeur sera ensuite adaptée de façon empirique au niveau, à l’environnement de pratique (type de neige), à la perception du skieur (engagement, peur) et, plus récemment, au sexe, en augmentant ou diminuant ce réglage. En conséquence, la détermination des forces rencontrée dans l’activité – et du réglage associé  – est primordiale, tout comme le processus de déclenchement.

Or, les études épidémiologiques montrent que ce point pourrait être largement amélioré. Parmi une cohorte de 498 skieurs « loisirs » blessés au LCA, l’absence de déchaussage correspondait à 78 % des cas, et était significativement plus élevée chez les femmes que chez les hommes (83 % contre 66 %). La fréquence nettement plus faible de déchaussage des fixations chez les skieuses blessées au LCA est bien connue dans la littérature.

La piste du déchaussage semble donc être un bon moyen de prévenir les lésions du LCA chez le skieur loisir, et encore plus chez la skieuse. C’est de nouveau un des points d’attention de mon laboratoire qui travaille sur la compréhension des moments de forces lors de la pratique du ski alpin, avec un focus sur la skieuse. J’ai d’ailleurs montré que les skieuses présentaient des forces appliquées sur la fixation bien moindres que ceux des hommes, ce qui explique le non-déchaussage de leur fixation… et donc, en partie, le risque accru de lésion du LCA.

Il est par conséquent important de sensibiliser les skieurs et les skieuses au réglage adapté et sécurisant de leurs fixations, avec l’aide d’un professionnel. Ainsi, pour une skieuse, il est maintenant proposé de diminuer de 15 % la valeur des réglages par rapport à la norme ISO et de 30 %, si c’est une débutante.

En conclusion, la prévention passe par la correction des facteurs modifiables mis en cause dans les ruptures du LCA. Des solutions sont proposées, mais pas suffisamment, à en croire les données épidémiologiques qui restent élevées. Il reste encore donc du travail aux chercheurs, aux industriels, aux exploitants et aux aménageurs des stations de ski pour limiter ce risque. The Conversation