Cet article a été écrit par Elodie Manthé, maîtresse de conférences en sciences de gestion à l'Institut de Recherche en Gestion et Economie de l'Université Savoie Mont Blanc. Il est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. [Lire l'article original]
Après avoir payé pour le trajet, le logement, les activités, les restaurants, les souvenirs, de nombreux touristes ont l’impression d’être davantage un « pigeon » qu’un voyageur. En miroir, les populations locales des pays visités ont souvent l’impression que leurs territoires sont consommés. Face à cette situation, 77 % des voyageurs français aimeraient voyager de manière plus responsable. Le tourisme contributif pourrait les intéresser.Alors que les problèmes de « surtourisme » et l’accueil très négatif réservé aux touristes dans certaines zones touristiques sont de plus en plus médiatisés), un autre terme commence à faire sa place en réaction, celui du « tourisme régénératif ». Une tendance marginale promeut le tourisme régénératif. Celui-ci vise non seulement à limiter l’impact sur les communautés locales, mais également à s’engager pour un impact positif. Selon cette approche, les touristes laisseraient la destination plus « propre » à leur départ qu’à leur arrivée, enrichissant ainsi les communautés locales et l’environnement par leur présence. Cette vision implique un changement fondamental de paradoxe en utilisant le tourisme pour régénérer les ressources dégradées), ce qui la rend difficile concrétiser. Certaines destinations comme la Nouvelle-Zélande et Copenhague apparaissent comme des fers de lance de ces pratiques touristiques au travers de leurs programmes « Tiaki Promise » ou « CopenPay », mais ces exemples restent marginaux.
Moins ambitieux, le tourisme « contributif » pourrait permettre de combler l’écart entre la situation actuelle et une vision du tourisme régénératif qui implique un changement philosophique reposant sur la collaboration, le biomimétisme et le respect des communautés locales. Ainsi, le tourisme « contributif » propose que chacun puisse réaliser sur son lieu de séjour des petites actions telles que le mécénat d’associations locales, l’arrondi en caisse au profit de projets du territoire, ou encore la participation à des actions de volontariat durant le séjour.
Le tourisme contributif pourrait jouer un rôle dans la réduction des tensions entre visiteurs et populations locales. Si l’idée d’un voyageur accueilli comme un familier peut sembler idéalisée, il est plus réaliste d’envisager qu’une telle approche contribue à apaiser les crispations. En effet, dans un contexte marqué par le tourist bashing – ce rejet des touristes perçus comme envahissants ou nuisibles –, instaurer un dialogue plus respectueux et une interaction fondée sur la collaboration pourrait déjà représenter une avancée significative.
Dans une étude récente, nous montrons que l’arrondi en caisse en vacances pourrait permettre d’accroitre la relation avec la destination, tout en traduisant la satisfaction des touristes (si un touriste est satisfait de son séjour, il serait plus enclin à aider des associations locales), à condition que la destination joue le jeu de la transparence sur l’usage des fonds et choisissent des causes à soutenir qui font sens. Ce moyen de collecte de dons est d’ailleurs un type de contribution plébiscité par un touriste sur deux, là où seulement un touriste sur trois serait prêt à participer à un travail bénévole sur place.
Une vision utopique ?
Cette approche trouve déjà des applications très concrètes, comme en Islande où les visiteurs sont invités à « prêter serment » à la Nature.
En France, les territoires de montagne offrent également des exemples de tourisme contributif. Le Centre de Recherches sur les Ecosystèmes d’Altitude du Mont-Blanc propose aux vacanciers de contribuer à des actions de science participative. La Compagnie des guides de Chamonix propose à ses clients de compenser l’impact carbone de leur déplacement au moment de la réservation ; Alpes Bivouac fait de même lors de ses séjours en écobivouac au Semnoz, et certaines stations de ski commencent à proposer l’arrondi en caisse au profit de projets locaux comme dans les stations de Pal Arinsal et Grandvalira Soldeu–El Tarter.
Grâce à ces actions qui peuvent être des expériences touristiques à part entière, le touriste devient contributeur de la destination, habitant temporaire du territoire, se sentant mieux accueilli, donc plus impliqué et fidélisé à la destination)
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Une contribution indirecte qui existe déjà
Par ailleurs, les touristes contribuent déjà aux destinations sans en être conscients, par le biais de la taxe de séjour reversée aux territoires. Les voyageurs payent en effet cette taxe à l’hôtelier qui la reverse ensuite à la commune. Cet argent a vocation à aider les territoires à développer et faire évoluer leur offre touristique.
D’autres types de taxes peuvent également être collectées afin de faire contribuer tous les touristes, et non seulement ceux qui sont volontaires. Par exemple, le gouvernement des Seychelles collecte la « taxe sur la durabilité environnementale » pour financer des actions de préservation environnementale.
En améliorant l’information sur l’utilisation des taxes collectées par les destinations, les voyageurs comprendraient peut-être davantage qu’ils ne sont pas seulement des consommateurs de produits touristiques et qu’avoir un impact positif durant leur voyage via de petits gestes est aisé.
Le vocabulaire du marketing touristique ne tend pas à responsabiliser les touristes : il s’agit de « capter » le visiteur, d’augmenter son « panier moyen », de lui « vendre des expériences ». Dans notre imaginaire collectif, le touriste – figure stéréotypée de la masse indistincte – est devenu une source de revenus saisonnière qui doit repartir « satisfaite » pour écrire de bons avis sur les sites de recommandations.
Apaiser les tensions entre touristes et populations locales
Les premiers touristes étaient des membres de l’élite sociale et intellectuelle romaine, animés par une curiosité et un intérêt pour la culture et l’histoire des territoires visités. Au XVIIIe siècle, de jeunes nobles anglais effectuaient leur Grand Tour pour parfaire leur éducation et devenir des gentlemen accomplis, donnant ainsi naissance au mot « tourisme ». Par définition, cette initiation impliquait un retour à la maison, enrichi par les découvertes et rencontres effectuées au cours de ce voyage.
Le tourisme est dès son origine une histoire d’échanges et de liens, le voyage ne pouvant exister sans la rencontre entre touristes et locaux. Du côté des locaux, les pratiques de tourisme contributif peuvent réduire le sentiment d’exploitation ou d’invasion. Pour les voyageurs, elles offrent une manière de s’impliquer davantage et d’échapper à l’image du « touriste-pigeon ». Cette contribution, qu’elle soit environnementale, culturelle ou sociale, pourrait non seulement renforcer leur satisfaction personnelle, mais aussi désamorcer une partie des tensions ressenties sur place.
Ainsi, sans prétendre transformer instantanément la dynamique entre hôtes et visiteurs, le tourisme contributif peut être envisagé comme une manière de reconstruire des liens plus équilibrés. Il s’agit moins de rêver à une utopie parfaite que de poser les bases d’un tourisme où les bénéfices sont partagés, et où chacun retrouve sa place, dans une période où le dialogue semble plus nécessaire que jamais. Et les voyageurs, conscients de leur rôle, reviendraient, non pas en pigeons, mais en colibris, prêts à contribuer à l’effort collectif.