The Conversation : « Vaccination contre les papillomavirus au collège : comment lever les barrières psychologiques ? »

Publié par Université Savoie Mont Blanc, le 5 novembre 2024   71

Cet article a été écrit par Julien Ailloud, chercheur postdoctoral de l'Université Grenoble Alpes, et Aurélie Gauchet, professeure en psychologie de la santé de l'Université Savoie Mont Blanc, tout deux membres du Laboratoire Inter-universitaire de Psychologie. Il est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. [Lire l'article original]


À la rentrée 2024, la campagne de vaccination généralisée contre les infections à papillomavirus humain (human papillomavirus, HPV) a été reconduite dans les collèges pour les élèves de 5ᵉ, filles et garçons, et ce, pour la deuxième fois. Pour rappel, c’est en février 2023, qu’Emmanuel Macron, le président de la République, avait annoncé la mise en place de ce dispositif.

Un vaccin sûr et efficace contre les infections à papillomavirus humain

Jusque là, la couverture vaccinale était particulièrement faible en France, quand on comparait les chiffres avec ceux d’autres pays d’Europe, qui organisaient déjà des journées de vaccination dans les établissements scolaires.

En France, depuis la première campagne dans les établissements scolaires, la couverture vaccinale chez les 11-14 ans a bondi de 17 points pour atteindre 48 % (55 % pour les filles, 41 % pour les garçons).

Il a été démontré depuis plusieurs années maintenant que la vaccination était efficace contre les infections à HPV, les verrues génitales (condylomes) et les lésions précancéreuses du col de l’utérus. Par ailleurs, si les HPV peuvent provoquer un cancer du col de l’utérus, plusieurs autres types de cancers y sont liés, comme les cancers de la vulve et du vagin, de l’anus ou de l’oropharynx.

Depuis 2006, est commercialisé en France le vaccin Gardasil. C’est sa dernière version, le Gardasil 9 qui protège contre 9 souches de HPV, dont 7 à haut risque de donner un cancer, qui est recommandé.). La vaccination contre les HPV s’adresse à tous les garçons et les filles âgées de 11 ans à 14 ans avec un rattrapage possible entre 15 et 19 ans.

Les causes de l’« hésitation vaccinale »

Malgré cela, le vaccin contre les HPV (c’est le cas également de celui contre l’hépatite B) a subi une large campagne de diffamation dans les années 2000. Celle-ci a conduit à une défiance particulièrement forte dans la population qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Ce phénomène a engendré une forte « hésitation vaccinale », que l’on pourrait définir comme « le fait de retarder ou de refuser une vaccination sûre malgré sa disponibilité ».


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Cette hésitation peut être due à différents types de facteurs. Des études menées avant la mise à disposition du vaccin contre le Covid-19 ont montré le rôle des variables socio-économiques et socio-démographiques (âge, genre, niveau d’éducation, etc.) ou encore celui de déterminants liés aux croyances. Ainsi, le modèle dit des 5 A pour Access, Affordability, Awareness, Acceptance, Activation répertorie des facteurs environnementaux ainsi que d’autres déterminants spécifiques aux vaccins ou encore des causes inter/intra individuels.

À noter que le Centre canadien de ressources et d’échange sur les données probantes en vaccination (CANVax) traduit les 5 A en français par « l’accès, l’abordabilité le [caractère abordable, NDLR], la sensibilisation (awareness), l’acceptation et l’activation ».

C’est sur ces derniers types de barrières à la vaccination qu’il est le plus pertinent et aisé d’agir.

Modifier les comportements grâce à la psychologie de la santé

La modification du comportement est une question classique de la recherche en psychologie, et elle se poursuit jusqu’à aujourd’hui notamment dans le champ de la psychologie de la santé. Parmi les propositions issues des travaux de recherche en sciences sociales, la théorie du comportement planifié est un outil théorique et pratique très répandu.

L’idée directrice est la suivante : le comportement des individus peut être adapté en agissant sur l’intention vis-à-vis de ce comportement, elle-même déterminée par trois facteurs.

  • Le premier est l’attitude concernant le comportement,
à savoir si celui-ci me fait ressentir des affects positifs ou négatifs.
  • Le deuxième est la norme subjective,
la pression sociale qui s’exercera sur moi selon ce que je crois que les autres attendent de moi.
  • Le troisième est le contrôle comportemental perçu, (c’est-à-dire l’idée d’auto-efficacité),
autrement dit ce que j’imagine être en capacité de faire pour parvenir au comportement visé.

Il est donc possible de jouer sur ces déterminants de l’intention à tendre vers un comportement. Ainsi, les individus peuvent être amenés à réfléchir aux apports que pourrait leur amener le comportement, aussi bien en termes de santé physique que de bien-être psychologique.

Il est aussi envisageable de faire référence à des groupes proches ou des figures d’autorité comme le médecin ou le gynécologue, afin d’amener les individus à se conformer aux normes desquelles ils ne voudraient pas s’écarter.

Pour faire évoluer positivement l’auto-efficacité, une piste est celle de la planification vers le comportement : anticiper les étapes ainsi que les leviers et barrières vers l’action entreprise (la vaccination) pourra limiter l’abandon et le découragement aux premiers obstacles.

Des spécificités propres aux HPV comme infections sexuellement transmissibles

Ces enseignements et pistes d’interventions sont à mettre en regard avec les quelques spécificités liées aux HPV. Ainsi, si comme évoqué auparavant le vaccin suscite encore une certaine défiance, le fait qu’il s’agisse d’une infection sexuellement transmissible (IST) peut rendre délicates les tentatives d’actions, voire parfois simplement le fait d’évoquer le sujet.

Il est donc nécessaire de bien former les professionnels de santé ainsi que les acteurs externes qui interviennent dans les établissements scolaires et en particulier les collèges, afin de garantir une diffusion de l’information la plus adaptée et actuelle possible.

Une autre caractéristique propre aux infections à HPV est qu’elles sont, encore pour beaucoup actuellement, circonscrites, associées et perçues comme des problèmes qui concernent (exclusivement) les femmes. Bien qu’effectivement, ces dernières soient les plus impactées par les HPV, il n’en reste pas moins vrai que les hommes en souffrent aussi, et sont des facteurs de transmission des HPV.

Il y a donc une nécessité à sortir de ces vieux schémas. Cela commence à être le cas depuis la recommandation émise par la Haute Autorité de Santé fin 2019 de vacciner aussi les garçons puis fin 2020 de rembourser également le vaccin chez le garçon.

Vacciner au collège : la solution face au coût, déserts médicaux, etc.

Il convient également de rappeler que ces modifications comportementales doivent s’accompagner d’une politique de santé publique visant à faciliter la prise de décision et l’action vers la vaccination. En effet, si les individus souhaitent se faire vacciner mais ne peuvent accéder au vaccin pour des raisons matérielles (coût de la vaccination, déserts médicaux ou difficultés logistiques pour accéder aux soins ou à un Centre Gratuit d’Information, de Dépistage et de Diagnostic (CeGIDD), etc.), la décision d’entrer dans le comportement risque de rester lettre morte.

La piste de la vaccination proposée dans l’enceinte des collèges semble donc bonne, même si l’accès à l’information concernant les HPV, y compris pour les professionnels de l’éducation nationale et les parents, est également crucial pour une couverture vaccinale optimale.

C’est au prix de ces efforts, en mettant à disposition des moyens humains, logistiques et financiers au service d’une politique sanitaire ambitieuse, que nous pourrons espérer éradiquer les HPV, comme des chercheurs l’ont estimé possible pour l’Australie d’ici une vingtaine d’années.