Troubles psychosomatiques : qu’en dit la science ?

Publié par Université Savoie Mont Blanc, le 12 juillet 2023   770

Cet article a été écrit par

  1.   Laurent Vercueil Neurologue hospitalier - CHU Grenoble Alpes (CHUGA) ; Laboratoire de Psychologie & Neurocognition. Equipe VISEMO. Université Grenoble Alpes, Université Grenoble Alpes (UGA)
  2. Christo Bratanov Neurologue - chercheur, Université Grenoble Alpes (UGA)
  3. Pascal Hot Professeur des universités - laboratoire de psychologie et neurocognition, équipe Vision & Émotion, Université Savoie Mont Blanc

 Il est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. [Lire l’article original]

Récemment, l’ancien premier ministre Édouard Philippe s’interrogeait sur les possibles effets du stress sur l’évolution singulière de sa pilosité. Se pourrait-il qu’une telle modification d’apparence soit effectivement la trace des effets de l’esprit sur le corps ? Autrement dit, un trouble psychosomatique ?

Si, au cours des années 1960 à 1970, cette notion a connu une fortune à la fois scientifique et populaire, elle est aujourd’hui tombée dans une relative désuétude.

Où en est actuellement la science sur cette question ? Et quelles sont, ou devraient être, les conséquences des connaissances actuelles sur la prise en charge médicale de tels troubles ?

Un concept ancien

Sorti sur les écrans en 1980, le film d’Alain Resnais Mon oncle d’Amérique constitue une bonne illustration d’une époque où de nombreuses maladies étaient imputées au « stress ».

On y voit notamment le personnage incarné par l’acteur Gérard Depardieu se heurter, après une ascension sociale fulgurante, à des obstacles aux effets dévastateurs sur sa santé psychique et physique, tandis que le biologiste Henri Laborit commente les effets du stress sur l’état physique, à partir d’expériences conduites sur des rats de laboratoire.

Bande-annonce du film Mon Oncle d’Amérique, d’Alain Resnais (1980). 

Le stress, un concept forgé par Hans Selye trois décennies auparavant, expliquait alors maladies de peau, hypertension artérielle et maladies cardiaques, ulcère gastroduodénal et maladies digestives, voire, pour certains, le cancer. Des raisons psychologiques étaient donc censées être la cause de nombreuses affections, dont la responsabilité incombait finalement au sujet lui-même, stressé qu’il était…

La découverte que l’ulcère gastroduodénal était dû non à l’effet du stress, mais à la présence d’une bactérie présente dans l’estomac, Helicobacter pylori, et pouvait donc être bien mieux traité par antibiotique que « par la parole », ébranla fortement ce discours. Finalement, les causes biologique, environnementale et/ou génétique prenaient le pas sur la cause psychologique.

Cependant, ce recul du psychologique ne réglait pas deux problèmes majeurs. Sur le plan théorique d’abord : disqualifier une cause psychologique pour la remplacer par une cause biologique témoignait en réalité d’un dualisme d’un autre âge, traçant une frontière artificielle et illusoire entre l’esprit et le corps.

Sur le plan pratique ensuite : aujourd’hui comme hier, au moins un tiers des personnes qui consultent un médecin généraliste ou un spécialiste présentent des symptômes bien réels, qui ne sont pas explicables médicalement.

Vie de l’esprit et vie du corps sont liées

Les états émotionnels, qui constituent d’abord des états physiques avant d’être des sentiments, ont un impact sur la régulation de nombreux systèmes, comme le développe le neurologue Antonio Damasio dans ses célèbres ouvrages L’erreur de Descartes et Spinoza avait raison. En 1884 déjà, le psychologue britannique William James abordait cette notion dans un article intitulé What is an emotion ?.

De fait, les facteurs psychologiques semblent jouer un rôle, encore mal compris, mais objectivable par des études épidémiologiques, dans la décompensation de maladies chroniques, les poussées inflammatoires, ou la modulation immunitaire.

Ainsi, des travaux ont permis de constater que la dépression multipliait par deux le risque de tous les cancers et par quatre le risque de cancer du sein. Une méta-analyse récente souligne aussi que le diagnostic clinique de dépression et d’anxiété est associé à un risque accru de survenue du cancer.

Attention cependant : il est important de souligner que le champ disciplinaire étudiant l’impact des facteurs psychologiques s’expose à des biais de confusion. Autrement dit, une association n’est pas un lien de causalité. Dans le cas de la dépression, l’augmentation du risque de cancer pourrait par exemple ne pas être directement liée à la maladie, mais plutôt résulter du fait que les personnes dépressives font moins de cas que les autres de leur santé, et prêtent moins d’attention à leurs symptômes ou suivent moins assidûment les recommandations en matière de dépistage du cancer.

Lever ce type de biais est du ressort de l’épidémiologie, d’un côté, et de la recherche fondamentale, de l’autre.

Des troubles inexpliqués

Il persiste aujourd’hui encore des patients dont les troubles sont « médicalement inexpliqués ». Chez ces personnes, non seulement l’ensemble des explorations biologiques, fonctionnelles ou d’imagerie sont normales, mais de plus il n’existe pas d’hypothèse dysfonctionnelle valable. Par exemple, un tremblement qui touche tantôt un bras, tantôt une jambe, qui disparaît lorsque l’attention est détournée et dont la fréquence varie en fonction des mouvements, ne peut pas relever d’une altération propre des circuits moteurs. Un lien avec le monitoring des ressources attentionnelles avait déjà été soupçonné voici plus d’un siècle par le psychologue Pierre Janet.

« Médicalement inexpliqué » ne signifie donc pas que la médecine est impuissante à identifier correctement les symptômes, mais que les connaissances physiologiques actuelles ne permettent pas d’en expliquer les manifestations.

En effet, et contrairement à une vision trop répandue (y compris chez les médecins), face à ce type de troubles, le diagnostic n’est pas un diagnostic d’élimination. Le médecin ne prescrit pas toutes les explorations possibles avant de retenir comme explication finale « c’est donc dans la tête », quand tous les résultats reviennent négatifs. Au contraire, il s’agit d’établir un diagnostic positif, au sens où des arguments solides permettent de retenir l’absence de facteur organique lésionnel.

Il faut toutefois se garder, alors, de revenir à un dualisme qui séparerait d’un côté les maladies « organiques », trouvant leur origine dans des dysfonctionnements physiques clairs, et de l’autre des maladies fonctionnelles « psychogènes », qui seraient générées par le psychisme.

Non seulement parce que cette vision dualiste fait des patients les « auteurs de leur propre infortune », pour paraphraser le titre de l’ouvrage d’Angela Kennedy, activiste de la santé (« Authors of our own misfortune »). Mais aussi parce qu’elle revient à ignorer que des facteurs psychologiques sont également inscrits dans nos structures neuronales.

Des troubles mis en évidence par imagerie

« C’est dans la tête » ne signifie pas que la plainte clinique est imaginaire, inventée ou simulée. En effet, l’imagerie cérébrale fonctionnelle est capable de mettre en évidence des modifications dans les activations des neurones sous l’effet de certains contextes. Les troubles fonctionnels sont donc bien associés à des anomalies dans des réseaux spécifiques.

C’est le cas, par exemple, d’un patient atteint d’une paralysie fonctionnelle présentant une limitation de la capacité d’être l’acteur de ses propres actions, du fait d’une moindre connectivité des zones d’intégration de l’information avec les aires motrices et sensorielles du cerveau. Or, le cerveau d’une personne qui simule ne présente de telles modifications.

Cette moindre connectivité pourrait peut-être résulter d’anomalies dans le système de régulation des émotions.

Autre exemple : voici quelques années, un homme de 29 ans avait été admis dans un état alarmant aux urgences d’un hôpital nord-américain après avoir avalé le contenu d’une boîte de médicaments antidépresseurs qu’il prenait dans le cadre d’un essai thérapeutique. Une tension artérielle très basse, des troubles de la respiration, des tremblements diffus avaient conduit l’équipe médicale à mettre en place une solution de remplissage intraveineuse.

Contacté en urgence, le laboratoire avait consenti à une levée d’aveugle, qui permettait de déterminer le bras dans lequel se trouvait le sujet. Résultat : il avait pris le placebo. Ses symptômes pouvaient donc être imputés à l’effet « nocebo » : la prise d’une substance sans effet pharmacologique avait engendré chez lui des effets délétères. Sitôt la nature du produit connue, les symptômes avaient disparu…

Comment éviter l’errance médicale ?

Lorsqu’ils sont ressentis péniblement ou qu’ils suscitent des signes cliniques (fatigue, tremblement, douleur, vertiges, etc.), les états physiques doivent être pris en charge, même si la cause médicale n’est pas évidente à première vue. En effet, ces symptômes sont réels, subis et non pas inventés.

Or, souvent, dans une telle situation, le patient est désappointé : le médecin, désarmé, lâche une phrase qui se veut rassurante, mais est, dans un tel contexte, particulièrement malheureuse : « il n’y a rien… ». La relation médecin-malade s’enlise. C’est la porte ouverte au nomadisme médical, au grand tour des spécialistes, jusqu’à ce qu’un résultat positif soit découvert, au décours d’un résultat d’imagerie ou après un énième bilan sérologique. Cela signifie-t-il pour autant que cette explication est la bonne ? Ce n’est pas sûr, car nous avons tous été exposés, un jour ou l’autre, à des agents infectieux. Mais au moins, « on a trouvé » quelque chose…

Toute la difficulté, dans la prise en charge des troubles « psychogènes », est de parvenir à penser l’intervention des facteurs psychologiques sans se résoudre à une séparation artificielle corps/esprit. Pour cela, il est souhaitable de partir du corps, des changements induits par les situations, les expériences vécues, en particulier traumatiques, et les attentes qui y sont associées.

Souvent, notre corps nous échappe. Il subit les impacts des évènements de vie : les émotions, qui peuvent dans certains cas s’exprimer sous forme de symptômes. Mais il s’agit moins de maladies que de souffrances. Souffrances auxquelles la médecine occidentale d’aujourd’hui a, sûrement à tort, tendance à ne donner que peu d’importance.