Vacances : comment lâcher prise à côté de chez soi ?
Publié par Université Savoie Mont Blanc, le 13 juillet 2023 480
Cet article a été écrit par
- Isabelle Frochot, Maître de Conférences HDR - Comportement du Consommateur, labortaoire IREGE, Université Savoie Mont Blanc
- François Lenglet, Maître de conférences en sciences de gestion / marketing, laboratoire IREGE, Université Savoie Mont Blanc
Il est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. [Lire l’article original]
À la lumière des réflexions qui ont animé la sphère touristique depuis le début de la crise sanitaire que nous connaissons, de nombreux débats se sont focalisés sur la capacité de voir se redéployer la demande touristique sur des territoires de proximité.
Pour pouvoir envisager cette évolution, il faut revenir aux bases du tourisme à savoir que la demande touristique est le miroir inversé de notre quotidien.
En vacances, on va chercher à quitter son quotidien dans ses dimensions les plus pesantes. Ainsi, avant même de vouloir voyager et découvrir de nouveaux horizons, la nécessité de quitter son quotidien reste la motivation principale et incontournable des vacances.
Quitter les tensions
Quand un individu décide de partir en vacances, il va chercher à quitter plusieurs dimensions de son quotidien. Une grande majorité des touristes contemporains proviennent de milieux urbains ou rurbains, et, même si cet univers comporte de multiples avantages, un touriste cherche à quitter ses dimensions négatives (la pollution, le bruit, la foule, le manque d’horizon, le manque d’espace, l’absence de civisme, etc.).
« Normalement, j’habite à Paris, donc ici c’est juste l’opposé, y’a que des espaces naturels autour de moi, alors que normalement, c’est encombré de voitures, ici y’a du calme, on entend le bruit du vent, on peut marcher, toucher de l’herbe, on peut toucher des matières premières en fait ; alors qu’en ville, on n’entend que des voitures et tout ce qu’on voit, tout ce qu’on touche, ce sont des matières transformées, qui ont été industrialisées, et y’a beaucoup plus de monde. Ici pour moi, c’est juste très différent, je me sens dans un autre monde en fait, dans un autre quotidien » (Stéphane en refuge dans les Écrins).
Un touriste cherche également à quitter l’univers du travail et toutes les tensions qui peuvent y être associées. Enfin, il peut être particulièrement complexe de mener de front une vie familiale et une carrière professionnelle, tout en gérant son domicile, et tenter de trouver un temps de loisirs pour soi. Ainsi, au fil des années, les vacances sont devenues un cours de rattrapage des moments importants de la vie familiale et personnelle que les pressions du quotidien ont mis à mal. Indéniablement, le temps des vacances représente une échappatoire essentielle à nos vies pressurisées où le lâcher-prise et l’être ensemble demeurent les principes directeurs.
La recherche d’expériences
Si la motivation première est bien de quitter son quotidien, il est essentiel que celui-ci ne se rappelle pas au touriste pendant son séjour. Le rôle d’un prestataire touristique va donc être de proposer des expériences différenciantes qui vont permettre au consommateur de venir s’évader. Plus la distanciation au quotidien prendra racine pendant les vacances, plus les vacances seront réussies.
Pour autant, toutes les vacances se valent-elles en matière de détachement ?
Les personnes qui composent un groupe de vacanciers, les activités pratiquées et les rencontres lors d’un séjour vont forcément jouer un rôle important. Mais au-delà de ces éléments, c’est surtout la différence de contexte qui va jouer un rôle primordial dans le mécanisme de détachement.
Certains contextes sont plus propices à provoquer ce détachement. Les expériences en nature, dans leur globalité, permettent d’immerger les consommateurs dans des contextes différents, rassurants, déconnectants, et qui les ramènent à l’essentiel. La nature apaise, nous reconnecte à nos émotions, stimule nos capacités d’attention, et provoque un retour aux sources indéniable.
Les univers sauvages
Parmi l’ensemble des environnements naturels, les univers sauvages semblent avoir une place à part, non seulement car ils sont particulièrement déconnectants, mais également car ils permettent aux touristes de reprendre la mesure de leur place dans l’univers et invitent à une humilité bienveillante :
« Ces grands espaces, ce sentiment de puissance, et en même temps d’infériorité, humilité avec la montagne… Une déconnexion totale, on est vraiment sorti du réel. Il y a cette montagne qui vous écrase, quand vous voyez l’immensité, elle vous rend plus petit, elle vous rend humble… » (François).
La puissance de l’univers sauvage a été identifiée dans des univers de montagne, comme dans les séjours au pôle Nord. Plus généralement, les vacances qui permettent un retour à l’essentiel en se rapprochant du tourisme d’aventure, avec un certain degré de survivalisme, permettent aux touristes de revenir à l’essentiel avec une rapidité évidente.
« On revient aux choses de base, on se dit que finalement, on n’a pas besoin d’un grand confort, on n’a pas grand-chose dans le sac à dos, on a laissé toute notre maison, et puis, un bien-être, on revient à quelque chose de plus simple, de plus authentique voilà, authentique. » (Marjolaine)
Créer des occasions
Si tous les touristes ne sont pas prêts à vivre des aventures intenses et rugueuses, les prestataires peuvent surfer sur cette corde pour provoquer des occasions de proximité avec la nature et de retour à l’essentiel adaptées aux attentes des touristes contemporains. Les touristes ne s’y trompent pas et l’émergence de produits insolites (maison dans les arbres, igloos, glamping et plus « simplement » le camping) permet aux touristes de se rapprocher de ce rêve d’aventure et de frugalité tout en gardant un certain niveau de confort.
La crise sanitaire récente a mis en lumière la quête de sens, mais c’était une tendance observée depuis plusieurs années déjà, et qui se traduit par la consommation de produits ayant des valeurs stables et rassurantes, car ancrées dans la tradition. La tendance vintage, l’authenticité, la frugalité, sont autant de dimensions qui apportent du sens et un ancrage face aux incertitudes de nos sociétés.
Une proximité identitaire appréciée
À la lumière de ces connaissances, certains territoires au sein même de l’hexagone peuvent offrir leur part d’exotisme car ils permettent un retour aux sources salvateur et des expériences ultra-déconnectantes.
La proximité physique entre lieu de résidence et lieu de vacances apporte aussi une proximité identitaire qui répond au besoin de sens et de réassurance du consommateur.
Plus particulièrement, les territoires ruraux sachant valoriser leurs valeurs authentiques, les territoires à fortes évocations naturelles, et les territoires de montagne vont pouvoir développer une offre en phase avec des attentes de déconnexion car leur identité est rassurante et reconnecte à l’essentiel.
Les études (qui portent généralement sur des séjours touristiques d’au moins une semaine) indiquent qu’il faut trois jours pour se distancer de son quotidien.
Ces trois jours semblent être une durée incompressible pour que le corps et l’esprit se détachent des stress variés du quotidien et se rendent disponibles pour nos vacances.
Aux termes de staycation (les vacances à la maison) on préfèrera celui de locatourisme car il implique de quitter son domicile pour plus de deux nuits à minima, conformément à ce principe fondateur du détachement qui qualifie les vraies vacances. Il reste néanmoins à rappeler que l’accès aux vacances est frappé d’inégalités : en 2020 encore plus d’un tiers des Français ne prend pas de vacances.